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Le site d'Angkor: une histoire de l'Empire khmer

Classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1992, le site d'Angkor englobe les vestiges des différentes capitales de l'Empire khmer et constitue un des sites archéologiques majeurs d'Asie. L'histoire du Cambodge est intimement liée à celle de son ancienne capitale, dont les temples permettent de retracer une histoire de l'Empire khmer, de sa naissance jusqu'à sa chute.

Le règne de Jayavarman II au 9ème siècle marque la naissance de cet empire qui atteindra son apogée au 12ème siècle sous le règne de Jayavarman VII: il s'étend alors sur la plus grande partie de la péninsule d’Indochine, englobant la majeure partie du Laos, le sud du Vietnam et de la Thaïlande. L'art et l'architecture khmers qui se développèrent à Angkor eurent ainsi une grande influence sur une large partie de l'Asie du sud-est, évoluant rapidement de leurs origines indiennes vers des formes originales.

Fondation de l'Empire khmer: Hariharalaya, la première capitale


Au début du 9ème siècle, Jayavarman II unifia les différents états khmers en un seul empire souverain appelé Kambuja, fondant ainsi l'Empire Khmer qui dominera l'Asie du Sud-est durant plus de quatre siècles. Ce sont les conquêtes militaires de Jayavarman II, de Vyâdhapura au sud-est du Cambodge jusqu'à Vat Phu au nord, qui établirent son pouvoir. À la fin du 8ème siècle, à la tête d'un vaste territoire, Jayavarman II établit une première fois pour quelques années la capitale de son empire à Hariharalaya, située à 15 km à l'est de Siem Reap sur le site de Roluos. Le nom "Hariharalaya" provient du nom de Harihara, divinité hindoue majeure dans la période pré-angkorienne, "Hari" désignant le dieu hindou Vishnu et "Hara" le dieu Shiva.

Essayant de poursuivre ses conquêtes plus loin vers le nord-ouest, Jayavarman II semble avoir subi un échec qui le força à déplacer sa capitale sur le plateau du phnom Kulen, à quelque cinquante kilomètres au nord-est d'Angkor. C’est là qu’en 802 il se proclama "empereur du monde", avant de finalement revenir à Hariharalaya, reconnue ainsi comme la première capitale de l'Empire khmer, où il mourut vers 855. Ses successeurs, Jayavarman III, son fils, puis Indravarman Ier, consolideront la puissance politique, économique et religieuse de l'Empire et feront édifier à Hariharalaya trois temples formant le groupe de Roluos: le Preah Ko, le Bakong et le Lolei.

Le Bakong, temple d'état d'Indravarman Ier, prend la forme d'une pyramide à cinq degrés de base carrée et devient le prototype du temple-montagne, caractéristique de la civilisation khmère et de son héritage indien. Pour les Khmers, le temple-montagne symbolisait le mont Meru, représentant dans la mythologie hindoue le centre de l'univers, une montagne sacrée sur laquelle demeurent les dieux. Ce concept sera déterminant dans les évolutions futures de l'architecture khmère.

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Plan du Bakong, prototype du temple-montagne

Cette première capitale comprenait certaines caractéristiques de la forme classique des capitales khmères. Elle était protégée par une muraille doublée d'un fossé; en son centre se trouvaient le temple d'état et le palais royal. Les grands dignitaires de l'Empire y firent également ériger des temples dédiés aux divinités hindoues, notamment Shiva, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'enceinte. Le grand réservoir, un lac artificiel creusé sous Indravarman, est également une caractéristique des capitales khmères.

L'agriculture ne parvenant plus à  nourrir une population grandissante, Indravarman Ier mit ainsi en place un système hydraulique marquant le début d’un empire autosuffisant et abondant. Il crée un immense lac artificiel (baray en khmer), l’Indratataka, rouage essentiel d'un immense et complexe système d'irrigation. A la mort d'Indravarman I en 889, son fils Yasovarman Ier lui succède et fait édifier en la mémoire de son père le temple du Lolei sur une île au centre de l'Indratataka. Mais Hariharalaya atteignait les limites de son développement, toutes les terres étant cultivées.

Yasodharapura:la première cité d’Angkor


Ambitieux, Yasovarman Ier décide d'abandonner Hariharalaya pour créer une nouvelle capitale qui lui soit propre et devienne le centre religieux du pays. Le jeune roi fonde ainsi la cité de Yasodharapura, au nord-ouest d'Hariharalaya sur le site d'Angkor Thom. Elle prendra plus tard le nom d'Angkor, du Sanskrit "nagara", qui signifie capitale. S'il choisit le site d'Angkor, c'est que la terre y est fertile, et qu'il possède un phnom, une colline surplombant la plaine d’une soixantaine de mètres, où il pourra établir une temple, la demeure des dieux sur terre. Il y fait ériger un nouveau temple royal, le Phnom Bakheng, dont la construction commença probablement à la fin du 9ème siècle, après l'avènement de Yaśovarman Ier en 889.

Une douve extérieure est creusée au pied de la colline arasée. On accède au site par quatre "gopuras", constructions par lesquelles on pénètre dans les enceintes successives d'un temple hindouiste, d'où partent quatre escaliers monumentaux orientés selon les points cardinaux. Caractéristique des temples-montagne khmers, son architecture prend la forme d'une pyramide à cinq étages ponctuée de 109 tours, dont les cinq plus grandes représentent le mont Meru et les quatre sommets environnants. Seuls les rois et les grands prêtres avaient le droit de prier au sommet du Phnom Bakheng.

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 Plan du Phnom Bakeng par Maurice Galize de l'EFEO
et photographie du temple avant sa restauration par l'EFEO
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Le temple est alors le centre d'une ville entourée d'une digue protectrice, un talus en terre formant un carré de quatre kilomètres de côté, dont il reste des traces au sud et à l'est. Juste des levées de terre, pas de fortifications, car la nouvelle capitale est protégée par la présence des dieux, qui la rendent invulnérable et prospère. À proximité, Yasovarman Ier fait creuser le bārāy oriental, "Yaśodharatatāka", un immense réservoir d’eau de 7,5 km sur 1,8 km dépassant largement le lac artificiel de son père, qui permettra de maîtriser l'irrigation nécessaire à l'approvisionnement de la ville et de multiplier par six les surfaces cultivables. A ces fins, on détourne le cours du Siem-Reap pour qu'il vienne alimenter les canaux d'irrigation.

Yasovarman Ier meurt en 910. Deux de ses fils, Harshavarman Ier d'abord puis Içânavarman II, continuent à régner à Angkor, mais le royaume souffre de troubles politiques: un de leurs oncles, Jayavarman IV, se proclame roi à Koh Ker, à quelque 100 km au nord-est, d'où il contrôlera bientôt l’ensemble du royaume. En effet, à la mort d'Içânavarman II, vers 928, il accède au trône et décide de faire de Koh Ker la capitale de l’empire. Les circonstances de cet épisode restent floues, Jayavarman IV, roi de Koh Ker, devait probablement allégeance aux rois d'Angkor et l'on ne sait pas comment il s'empara du trône. Cependant, la construction à Koh Ker vers 920 du temple de Prasat Thom, témoigne de sa richesse et de sa puissance.


A son accession au trône en 944, Rajendravarman II, neveu de Yasovarman Ier, restaure l'unité de l'Empire khmer et revient à Angkor. Sous son règne, les victoires militaires sur les Chams permettent aux Khmers d'étendre leur empire en occupant le champa, l'actuel centre du Vietnam. La capitale s'organise alors autour du nouveau temple d'état du Pre Rup que Rajendravarman II fait édifier, et non plus autour de Phnom Bakheng. Il prend la forme d'une pyramide à degrés que l'on gravit par des escaliers gardés de lions et au sommet de laquelle se dressent cinq tours.
C’est aussi sous ce règne que certains dignitaires accroissent leur influence et font ériger de multiples monuments exceptionnels. Le Banteay Srei, littéralement "la citadelle des femmes", sera ainsi fondé en 967 par le brahmane Yajnavaraha, petit fils d'Hashavarman Ier, prêtre, médecin, astronome et musicien à la cour de Rajendravarman II, maître spirituel du futur Jayavarman V. Ce temple plat, ceinturé de douves, a été construit en grès rose et en latérite sur le site de l'ancienne ville d'Iśvarapura à une vingtaine de kilomètres au nord-est d'Angkor. La finesse exceptionnelle de ses ornementations fait de ce petit temple un joyau de l'art khmer.


Jayendranagari et le Ta Keo


En 968, lorsque Rajendravarman II meurt, son fils Jayavarman V  lui succède. Encore enfant sans doute, son éducation est confiée au brahmane Yajnavaraha, haut dignitaire du règne précédent qui devient le gourou du jeune roi. Après avoir affirmé militairement son pouvoir sur d’autres princes, son règne sera une période de paix et de prospérité. 

Il établit une nouvelle capitale, Jayendranagari, près de Yaśodharapura et s’entoure de philosophes, de lettrés et d’artistes, impulsant un essor culturel sans précédent. Il fait ériger son propre temple d'État, le Ta Keo, un temple-montagne classique avec cinq tours élevées sur une pyramide à cinq niveaux, sans pouvoir en terminer la construction, définitivement stoppée après l'accession au trône de Sūryavarman Ier, d'où l'aspect brut de ce temple qui ne porte pas de bas-reliefs sculptés.

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Vue d'un escalier et d'une gopura au Ta Keo
Albums photo des temples d'Angkor

La mort de Jayavarman V ouvre une nouvelle phase de troubles, où plusieurs souverains feront de courts règnes avant d’être supplantés par d'autres. Cette période semble prendre fin avec l’arrivée au pouvoir, vers 1010, de Suryavarman Ier. Malgré plusieurs tentatives de coups d’état, il réussit à étendre son royaume par une politique de conquêtes militaires. Il ordonna la construction des fortifications qui entourent son palais royal et son temple d'état, le Phimeanakas, ainsi que la construction du grand Baray occidental, dont les travaux furent achevés par son successeur, Udayadityavarman II. Ce dernier fera également édifier le Baphuon, son temple d'état dédié à Shiva.

Angkor Vat, plus grand temple khmer


Les souverains suivants laissèrent peu de grands monuments, mais avec l'arrivée au pouvoir de Suryavarman II, en 1113, débute une nouvelle grande période de construction marquant l'apogée de l'Empire khmer. Suryavarman II entreprend alors d'édifier le plus grand de tous les temples khmers, Angkor Vat, temple d'état et reflet d'un règne de quarante années qui marqua le sommet de la puissance khmère et la période de la plus grande expansion de l'empire. Angkor Vat est devenu le symbole national du Cambodge, dont il figure sur le drapeau.

Angkor Vat fut l'un des temples les mieux préservés car il ne fut jamais complètement abandonné, restant un important centre religieux, initialement hindou puis bouddhiste. Ses douves le protégèrent également du développement de la jungle sur le site. Il sera popularisé en Occident au 19ème siècle par la publication des notes de voyage du naturaliste français Henri Mouhot: « Qui nous dira le nom de ce Michel-Ange de l'Orient qui a conçu une pareille œuvre, en a coordonné toutes les parties avec l'art le plus admirable, en a surveillé l'exécution de la base au faîte, harmonisant l'infini et la variété des détails avec la grandeur de l'ensemble et qui, non content encore, a semblé partout chercher des difficultés pour avoir la gloire de les surmonter et de confondre l'entendement des générations à venir ! »

Le temple d'Angkor Vat, principalement construit en grès et en latérite, incarne l'archétype du style classique de l'architecture khmère, dont il combine deux caractéristiques essentielles, à la fois temple-montagne et temple à galeries. Contrairement à la plupart des temples d'Angkor, il est orienté vers l'ouest, probablement parce qu'il est dédié à Vishnou. À l'intérieur d'une douve et d'un mur externe de 3,6 km de longueur se trouvent trois galeries rectangulaires, chacune construite l'une à l'intérieur de l'autre. A l'ouest du site, une chaussée pavée longue de 200 mètres permet de traverser les douves et mène à une large terrasse précédant le magnifique gopura qui marque l'entrée principale de l'édifice central.

La première galerie est ouverte vers l'extérieur et fermée par un mur aveugle vers l'intérieur. Une chaussée ornée de nagas et longue de 350 mètres mène à la seconde enceinte, ornée d'un bas-relief narratif sur toute sa longueur. La troisième galerie occupe un espace de 150 mètres sur 200 mètres, divisé en trois niveaux de dimensions décroissantes, reliés par des escaliers. Chaque niveau est constitué d'une terrasse entourée d'une galerie. Le plus élevé est le sanctuaire, une plate-forme pavée de forme carrée subdivisée en quatre cours, que l'on atteint par des escaliers très raides symbolisant la difficulté d'atteindre le royaume des dieux. Il est surmonté en son centre d'une grande tour de forme pyramidale, abritant le sanctuaire central, initialement dédié à Vishnou, mais aujourd'hui dédié à Bouddha.

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Le temple d'Angkor Vat
Albums photo des temples d'Angkor

La mort de Suryavarman II, survenue vers 1150, fut suivie par une période de troubles intérieurs et de pressions extérieures qui aboutirent en 1177 à la prise d'Angkor par les Chams. Ils l'occuperont quatre ans, pillant le trésor royal, mutilant les statues des divinités ou les emportant comme butin.


Jayavarman VII, le roi constructeur


C'est Jayavarman VII qui chassa les Chams et restaura la puissance de l'Empire khmer, reconstruisant une nouvelle capitale et initiant une politique de construction de grande ampleur. Le règne de ce roi fait ainsi l'objet d'un article spécifique consacré à ses principales réalisations, les temples du Bayon et du Ta prohm ainsi que les terrasses des éléphants et du roi lépreux.