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Chapei, le blues du Cambodge

Instrument originaire du Cambodge, le chapei est un luth à deux cordes, quatre autrefois, qui se caractérise par un long manche pouvant mesurer jusqu'à un mètre cinquante. Généralement, il est constitué d'une caisse en bois de krasaing ou de jacquier et d'un manche en teck. Ces deux pièces sont fixées l'une à l'autre par une cheville en os d'éléphant. La mélodie est jouée sur la corde supérieure, tandis que la corde grave sert à la ponctuation et à l'accompagnement rythmique.

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Cambodgienne jouant du chapei,
photographie d'Emile Gsell entre 1866 et 1873.

Origines du chapei



Les origines précises de cet instrument ancien ne sont pas connues mais on en trouve déjà la trace sur certains bas-reliefs d'Angkor Vat. A l'époque de l'Empire Khmer, il faisait partie des orchestres de cour jusqu'à ce que le roi An Duong, au 19e siècle, le fasse sortir de l'orchestre. Le chapei devient alors un instrument accompagnant les poèmes ou les contes. Le chapei a ainsi donné son nom à un genre poético-musical enraciné dans la culture cambodgienne mais devenu aujourd'hui marginal.

Les joueurs de chapei se produisent en général seuls, ou à deux. L'art du chapei réside autant dans la virtuosité du jeu que du verbe. "Si vous entendez beaucoup d'instrumental, c'est que le poète n'est pas inspiré, car, dans le chapei, la musique aide à prendre le temps de construire ses vers", explique Prach Choun, l'un des plus grands maîtres du genre avec Kong Nay.

Une mélodie répétitive accompagne des chants qui peuvent durer quelques minutes comme plusieurs heures. et qui transmettent à travers leurs paroles les valeurs traditionnelles de la société khmère. Des scènes de ménage aux légendes, ils content aussi bien des chroniques de la vie quotidienne que des histoires traditionnelles, des chants de nature religieuse, des récits liés à la littérature khmère ancienne...

Kong Nay, un des maîtres du chapei

Kong Nay, le Ray Charles du Cambodge


Kong Nay est né en 1946 dans la province de Kampot. A l'âge de quatre ans, il perd la vue  à la suite d'une variole. «Mon grand oncle jouait du chapei. A treize ans, je lui ai demandé de m'apprendre.» Kong Nay maïtrise vite l'instrument et commence à se produire dans la province de Kampot dès l'âge de seize ans. On le demande pour les fêtes, les mariages... Sa renommée grandit.

Lorsque les Khmers Rouges prennent le pouvoir, ils le contraignent à chanter la gloire du régime auprès des déportés sur les chantiers et dans les rizières. Mais il détourne, au péril de sa vie, les paroles de ces chants patriotiques pour faire passer auprès des déportés des messages de soutien. Les autorités s'en aperçoivent et l'envoient alors travailler dans une manufacture de cordagesKong Nay ne se remettra à jouer qu'après la chute du régime des Khmers Rouges. Celui que l'on surnomme le Ray Charles du Cambodge est aujourd'hui considéré comme l'un des deux plus grands artistes de chapei avec Prach Choun. 


Prach Choun, le roi du chapei


Prach Choun est né 1936 à Samor, dans la province de Takeo, à une centaine de kilomètres au sud de Phnom Penh. Surnommé le «roi du chapei», Prach Choun en est un des derniers maîtres. "Il n'existe plus aujourd'hui de musiciens de chapei, si ce n'est moi et Kong Nay. Les Khmers rouges les ont tous tués", explique Prach Choun.

Sous Pol Pot, le chapei était interdit, considéré comme un vestige de l'ancien monde, et Prach Choun, devenu aveugle à l'âge de sept ans suite à une rougeole, n'a échappé à la mort que grâce à sa cécité. "Dans mon village, on a expliqué à l'Angkar que je ne pouvais pas tenir d'armes et que j'allais de toute façon mourir de faiblesse." En 1979, après la chute des Khmers Rouges, Prach Choun est invité par le nouveau gouvernement à chanter à la radio nationale. Prach Choun se produit également à l'occasion des fêtes traditionnelles, la fête des eaux, le Nouvel An khmer, la fête des morts.