La station d'altitude de Bokor, dont le nom signifie en khmer la bosse du zébu, a été construite sous le protectorat français dans le parc national de Preah Monivong. Le chantier de la route d'accès débute en 1917 à environ quarante kilomètres à l'ouest de Kampot sur la chaîne de l'Éléphant. Neuf cents forçats vietnamiens perdront la vie dans cette région montagneuse et isolée durant la construction de la route et des bâtiments de la station. Marguerite Duras témoignera des difficiles conditions de travail sur le chantier de la route du dans "Un barrage contre le Pacifique".
La station climatique a été conçue comme un lieu de détente à l'usage des colons français, selon les directives du Ministre des Colonies Gaston Doumergue qui recommande en 1904 l’installation de stations sanitaires maritimes et d’altitude, afin d'offrir aux Européens des températures
proches de la métropole durant la saison chaude, et ainsi éviter des retours massifs et
coûteux. Inauguré en 1925, le Bokor Palace, de style Art déco, était le joyau de la station, qui comptait également un bureau de poste, une église, une usine électrique, une villa royale, une infirmerie, une maison de repos et une station agricole approvisionnant les touristes en légumes et fruits "de France".
 |
| Le Bokor palace en 1950 |
Une histoire mouvementée
Durant la guerre d'Indochine, le Palace est transformé en hôpital puis la station est abandonnée une première fois à la fin des années 1940, prise et dévastée par les combattants Khmer Issarak et Vietminh qui mènent une violente insurrection dans la région. Après l'indépendance du Cambodge en 1953, Norodom Sihanouk fait reconstruire la station et inaugure en 1962 la nouvelle "Cité de Bokor", qui comprend de nouveaux bâtiments: un château d'eau, un commissariat de police, une mairie, un centre de repos de l'armée, l'hôtel Sangkum et son casino, une "Auberge Royale" ou "Chalet d'État" à l'usage des hôtes étrangers, la résidence de Sihanouk, une annexe du Palace...
Le casino fermera rapidement ses portes pour être déplacé en 1964 à Kep, à l'est de Kampot. En 1965, la route d’accès est fermée suite à de fortes intempéries entraînant des glissements de
terrain, alors que l'humidité dégrade fortement l'intérieur du "Bokor palace" inoccupé durant plusieurs mois. Une dizaine de bungalows à bas prix sont néanmoins
construits à Popokvil. Tourné par Norodom Sihanouk en 1969, le film "Rose de Bokor" témoigne de l'état du Bokor dans les années soixante.
Le site est à nouveau fermé en 1970 après le coup d'état du général du général Lon Nol, avant d'être complètement abandonné en 1972 lorsque les Khmers Rouges prennent le contrôle de cette position stratégique, où ils se retrancheront et résisteront plusieurs mois à l'invasion vietnamienne en 1979. Le Mont Bokor restera un de leurs derniers bastions jusqu'à ce qu'un bataillon français de l'APRONUC le prenne en 1993. Une station de télécommunication et une station de police y sont installées, alors que les touristes peuvent à nouveau accéder au site par une piste.
 |
| Le Bokor palace en 2007, Mat Connolley |
Le Bokor aujourd'hui
Aujourd'hui, le Bokor est l'objet d'un projet pharaonique, estimé à 1 milliard de dollars pour une durée de quinze ans, avec une possibilité d'extension et de création d'une ville nouvelle. Le gouvernement cambodgien a accordé une concession pour 99 ans au groupe Sokimex, qui a lancé le chantier en 2008 avec la rénovation de la route et de certains bâtiments historiques, ainsi que la construction de nouveau édifices: hôtels, hôpital, restaurant, golf...
Le Thansur Bokor Highland Resort, un hôtel casino géant de plusieurs centaines de chambres qui a ouvert en 2012, donne un avant goût du futur Bokor. Oublié le parc national, les paysages et l'environnement ont été sacrifiés au tourisme de masse, comme souvent avec le groupe Sokimex, également en train de défigurer l'embranchement du Tonle Sap et du Mekong à Phnom-Penh par un immense hôtel, sans parler du monstrueux Sokha qui s'est accaparé la plus belle plage de Sihanoukville.
 |
| Le Thansur Bokor Highland Resort, nouvelle horreur de Sokimex |
