Les contes et légendes occupent une place importante dans la culture khmère. Ils reflètent les modes de vie et coutumes des Cambodgiens. Sous le protectorat français, ils éveillèrent l'intérêt et firent l'objet de différents ouvrages. Publié en 1922, les "Légendes cambodgiennes que m'a contées le gouverneur Khieu" se présente comme un recueil de légendes cambodgiennes rassemblées et traduites en français par G.H. Monod. L'extrait choisi est la légende intitulée "La fondation d'Angkor".
Légendes cambodgiennes que m'a contées le gouverneur Khieu
G.-H. Monod, 1922 |
La fondation d'Angkor
En l'an 600 de l'ère de Buddha, un Chinois nommé Lim Seng vivait dans la province de Changai. Agé de cinquante ans, il se trouvait dans une grande misère. Ayant emprunté six barres d'argent à un négociant, il s'était mis en servitude pour dette chez son créancier; celui-ci lui avait assigné comme tâche de défricher et de mettre en culture un terrain situé sur le bord du fleuve. Lim Seng, à la saison où toutes sortes de fleurs étaient écloses, en faisait chaque jour une ample moisson qu'il apportait à son maître.
Un jour, cinq devi habitant le palais d'Indra prirent leur vol et vinrent s'ébattre sur la terre. Elles aperçurent le jardin en fleurs de Lim Seng et y entrèrent. L'une d'elles, nommée Dibsodacan, cueillit six fleurs dont le parfum la charmait. Ses sœurs errèrent dans le jardin sans couper de fleurs. Au retour dans leur divin séjour, elles dévoilèrent à Indra le larcin de Dibsodacan. Indra interrogea la coupable et la condamna à redescendre sur terre où, pendant six ans, elle vivrait de la vie humaine et serait la femme de Lim Seng.
Dibsodacan, honteuse et désespérée, prit son vol, se rendit auprès de Lim Seng, lui avoua qu'elle lui avait dérobé six fleurs.
« En punition, dit-elle, Indra m'ordonne d'être six ans votre femme.
— Je suis dans la misère, répondit Lim Seng; je ne puis vous prendre pour femme. Mon maître est dur; à peine me donne-t-il ma propre nourriture, et quelle nourriture!
— N'importe! Je vous aiderai; je vous apprendrai des arts inconnus. Si vous ne me preniez pas pour femme, comment serait exécutée la sentence d'Indra? Ayez pitié de moi! »
Lim Seng accueillit Dibsodacan à son foyer. Il était fier de cette devi plus belle que toute femme. Bientôt un grand amour l'enflamma.
Dibsodacan, ayant vécu avec lui pendant quelques mois, constatant les difficultés de sa vie et l'honnêteté de son cœur, le prit en pitié.
« Combien avez-vous emprunté ? demanda-t-elle.
— Six barres d'argent.
— Lorsque vous avez emprunté six barres, vous viviez seul. Maintenant, allez demander quatre barres de plus et je serai en servitude avec vous. Nous ferons fructifier l'argent que vous allez obtenir.»
Lim Seng se rendit auprès du négociant, son créancier, et obtint les quatre barres qu'il demandait. Il les apporta à Dibsodacan.
Elle pria Lim Seng de lui acheter de la soie pour quatre barres d'argent. Il lui apporta vingt livres de cocons; Dibsodacan les fila, puis se mit à tisser toutes sortes d'étoffes: des soies brodées de feuillages, d'animaux, de dessins innombrables; elle fit des tissus admirables, dépassant en beauté tout ce qui était alors connu des hommes. Puis elle chargea son mari d'apporter toutes ces soies à leur maître.
Le négociant tâta les étoffes; Il fut plongé dans l'admiration. Jamais personne n'avait su tisser ainsi. Il fit à Lim Seng de grande compliments et dans sa joie lui donna cinquante barres d'argent, lui remettant de plus sa dette antérieure. Il envoya de nombreux élèves apprendre de Dibsodacan l'art de tisser la soie. Lim Seng s'enrichit rapidement et devint puissant et considéré.
Au bout d'un an, Dibsodacan mit au monde un garçon. Cet enfant était très remuant. Dès qu'il put ramper, il creusait dans ta terre des remparts; lorsqu'il put se tenir debout, il dessina sur le sol des animaux et des hommes. Toujours, il traçait des images sur la terre. Il n'était jamais inactif mais sans cesse en mouvement. Pour cette raison, sa mère l'appela Popusnokar.
Quand cet enfant atteignit l'âge de cinq ans, la peine de Dibsodacan arriva à son terme, les six années de son séjour terrestre étant révolues. Elle cueillit six fleurs qu'elle déposa sur son oreiller et s'envola vers son divin séjour.
Lorsque vint l'heure du repas, Lim Seng, étonné de ne pas voir venir sa femme, entra dans sa chambre. Il aperçut les six fleurs et comprit leur symbole. Il fondit en larmes, désespéré du départ de Dibsodacan; tous les voisins s'unirent à sa détresse. Popusnokar, courant partout à la recherche de sa mère, l'appelait d'une voix déchirante et sanglotait avec son père.
Lim Seng se rendit auprès du négociant, son créancier, et obtint les quatre barres qu'il demandait. Il les apporta à Dibsodacan.
Elle pria Lim Seng de lui acheter de la soie pour quatre barres d'argent. Il lui apporta vingt livres de cocons; Dibsodacan les fila, puis se mit à tisser toutes sortes d'étoffes: des soies brodées de feuillages, d'animaux, de dessins innombrables; elle fit des tissus admirables, dépassant en beauté tout ce qui était alors connu des hommes. Puis elle chargea son mari d'apporter toutes ces soies à leur maître.
Le négociant tâta les étoffes; Il fut plongé dans l'admiration. Jamais personne n'avait su tisser ainsi. Il fit à Lim Seng de grande compliments et dans sa joie lui donna cinquante barres d'argent, lui remettant de plus sa dette antérieure. Il envoya de nombreux élèves apprendre de Dibsodacan l'art de tisser la soie. Lim Seng s'enrichit rapidement et devint puissant et considéré.
Au bout d'un an, Dibsodacan mit au monde un garçon. Cet enfant était très remuant. Dès qu'il put ramper, il creusait dans ta terre des remparts; lorsqu'il put se tenir debout, il dessina sur le sol des animaux et des hommes. Toujours, il traçait des images sur la terre. Il n'était jamais inactif mais sans cesse en mouvement. Pour cette raison, sa mère l'appela Popusnokar.
Quand cet enfant atteignit l'âge de cinq ans, la peine de Dibsodacan arriva à son terme, les six années de son séjour terrestre étant révolues. Elle cueillit six fleurs qu'elle déposa sur son oreiller et s'envola vers son divin séjour.
Lorsque vint l'heure du repas, Lim Seng, étonné de ne pas voir venir sa femme, entra dans sa chambre. Il aperçut les six fleurs et comprit leur symbole. Il fondit en larmes, désespéré du départ de Dibsodacan; tous les voisins s'unirent à sa détresse. Popusnokar, courant partout à la recherche de sa mère, l'appelait d'une voix déchirante et sanglotait avec son père.
***
Dans le royaume du Cambodge, le roi Pudesraja mourut sans enfants. La descendance du roi Khma Prah Thong s'éteignait. Il ne restait que Krong Huv et Kray Huv qui fussent de sang royal; la
succession au trône se trouva vacante.
Un jour, un malheureux qui ne gagnait sa vie qu'à ramasser dans la forêt des fagots de bois à brûler fut surpris par une pluie torrentielle. Il se réfugia dans une cabane élevée aux génies.
Indra, le roi des deva, prit la forme de deux coqs, l'un blanc, l'autre noir. Le coq noir se posa sur la poutre maîtresse de la cabane; le coq blanc se posa sur le toit. Au bout d'un moment, le coq blanc chanta. Le coq noir, parlant le langage des hommes, dit:
« Qui donc se permet de chanter ainsi au-dessus de ma tête? Eh, quelle est ta puissance?
— Je suis très puissant, répondit le coq blanc. Si un homme mange ma chair, il montera sur le trône.»
Le coq noir répartit :
« Si un homme mange ma tête, il sera roi des bonzes. Si une femme mange ma cuisse, elle sera reine. Si un homme mange ma poitrine, il régnera. Ne me traite donc pas avec mépris!»
Un jour, un malheureux qui ne gagnait sa vie qu'à ramasser dans la forêt des fagots de bois à brûler fut surpris par une pluie torrentielle. Il se réfugia dans une cabane élevée aux génies.
Indra, le roi des deva, prit la forme de deux coqs, l'un blanc, l'autre noir. Le coq noir se posa sur la poutre maîtresse de la cabane; le coq blanc se posa sur le toit. Au bout d'un moment, le coq blanc chanta. Le coq noir, parlant le langage des hommes, dit:
« Qui donc se permet de chanter ainsi au-dessus de ma tête? Eh, quelle est ta puissance?
— Je suis très puissant, répondit le coq blanc. Si un homme mange ma chair, il montera sur le trône.»
Le coq noir répartit :
« Si un homme mange ma tête, il sera roi des bonzes. Si une femme mange ma cuisse, elle sera reine. Si un homme mange ma poitrine, il régnera. Ne me traite donc pas avec mépris!»
Le coq blanc s'envola; le
coq noir resta sur la poutre. L'homme s'approcha sans bruit, saisit le coq noir, le tua et l'emporta dans sa hutte. A voix basse, il rapporta à sa
femme le secret qu'il avait surpris. Elle, au comble du bonheur, fit cuire le coq, le disposa sur un plateau et se mit en devoir de le manger. Mais son mari lui dit:
« Nous voici sur le point de porter la couronne. Emportons cette chair au bord de la rivière, délassons-nous en prenant un bain; puis nous revêtirons des vêtements propres et nous mangerons ce coq.»
L'homme et la femme descendirent à la berge, posèrent le plateau au bord de l'eau et s'ébattirent joyeusement dans la rivière. Lorsqu'ils revinrent sur la rive, ils ne retrouvèrent pas le plateau; les remous l'avaient entraîné dans le courant; il avait disparu.
Un cornac nommé Tar avait ce jour-là mené ses éléphants se baigner dans la rivière. Il vit ce plateau flotter vers lui. Très surpris, il prit le plateau et l'alla montrer au chef de la bonzerie. Le bonze reconnut la nature du coq. Il prit la tête et la mangea; il offrit à Tar la poitrine et donna la cuisse à Vong, femme de Tar, mais il ne leur dit rien. Tar et Vong rentrèrent chez eux.
L'homme et la femme qui avaient perdu le plateau le cherchèrent en vain; pensant qu'il leur avait été dérobé, ils s'accablèrent mutuellement d'injures.
Trois jours après, les ministres se réunirent en conseil.
« Voici longtemps, dirent-ils, que notre royaume est privé de roi. Caparaçonnons des éléphants et invoquons les deva. Que les éléphants aillent d'eux-mêmes se prosterner devant celui qui est digne du trône, le mettent sur leur tête et l'amènent ici. Nous préparerons aussitôt le couronnement.»
Les éléphants, richement ornés, furent lâchés en liberté. Ils se dirigèrent vers Tar et Vong, se prosternèrent devant eux, les mirent sur leur tête et les ramenèrent au palais. Les ministres préparèrent les fêtes du couronnement selon la coutume. Tar prit le nom de règne de Devunagschar.
Krong Huv et Kray Huv furent irrités. Ils partirent à Bakan, dans la province de Bodhisattva, y construisirent un palais et refusèrent de se soumettre au nouveau roi.
« Nous voici sur le point de porter la couronne. Emportons cette chair au bord de la rivière, délassons-nous en prenant un bain; puis nous revêtirons des vêtements propres et nous mangerons ce coq.»
L'homme et la femme descendirent à la berge, posèrent le plateau au bord de l'eau et s'ébattirent joyeusement dans la rivière. Lorsqu'ils revinrent sur la rive, ils ne retrouvèrent pas le plateau; les remous l'avaient entraîné dans le courant; il avait disparu.
Un cornac nommé Tar avait ce jour-là mené ses éléphants se baigner dans la rivière. Il vit ce plateau flotter vers lui. Très surpris, il prit le plateau et l'alla montrer au chef de la bonzerie. Le bonze reconnut la nature du coq. Il prit la tête et la mangea; il offrit à Tar la poitrine et donna la cuisse à Vong, femme de Tar, mais il ne leur dit rien. Tar et Vong rentrèrent chez eux.
L'homme et la femme qui avaient perdu le plateau le cherchèrent en vain; pensant qu'il leur avait été dérobé, ils s'accablèrent mutuellement d'injures.
Trois jours après, les ministres se réunirent en conseil.
« Voici longtemps, dirent-ils, que notre royaume est privé de roi. Caparaçonnons des éléphants et invoquons les deva. Que les éléphants aillent d'eux-mêmes se prosterner devant celui qui est digne du trône, le mettent sur leur tête et l'amènent ici. Nous préparerons aussitôt le couronnement.»
Les éléphants, richement ornés, furent lâchés en liberté. Ils se dirigèrent vers Tar et Vong, se prosternèrent devant eux, les mirent sur leur tête et les ramenèrent au palais. Les ministres préparèrent les fêtes du couronnement selon la coutume. Tar prit le nom de règne de Devunagschar.
Krong Huv et Kray Huv furent irrités. Ils partirent à Bakan, dans la province de Bodhisattva, y construisirent un palais et refusèrent de se soumettre au nouveau roi.
Indra, voyant la reine sans enfant, dit:
« Je vais donner à Vong un fils de ma propre race qui perpétuera la dynastie des rois cambodgiens.»
Un jour, la reine étant sortie du palais, Indra s'envola dans les airs. Les hommes ne distinguèrent aucune forme mais virent une immense lumière bleue descendant à travers l'espace. Ils se mirent à crier:
« La lumière qui tombe! »
Indra fit descendre sur le corps de la reine une pluie de fleurs tressées en guirlandes et disparut. Vong devint enceinte et mit au monde un fils qu'elle nomma Prah Kèt Mealea, ce qui signifie: Lumière fleurie.
« Je vais donner à Vong un fils de ma propre race qui perpétuera la dynastie des rois cambodgiens.»
Un jour, la reine étant sortie du palais, Indra s'envola dans les airs. Les hommes ne distinguèrent aucune forme mais virent une immense lumière bleue descendant à travers l'espace. Ils se mirent à crier:
« La lumière qui tombe! »
Indra fit descendre sur le corps de la reine une pluie de fleurs tressées en guirlandes et disparut. Vong devint enceinte et mit au monde un fils qu'elle nomma Prah Kèt Mealea, ce qui signifie: Lumière fleurie.
***
Popusnokar avait cherché sa mère de tous côtés et ne savait où elle s'en était allée. Une amère tristesse envahit son cœur.
Jusqu'à dix ans, il s'était appliqué à l'étude. Un jour, Il demanda à son père:
« Qui donc était ma mère?
— Ta mère était une devi. Elle n'était venue vivre sur terre que pendant six années, puis elle est retournée à sa divine demeure. Cette demeure est fort éloignée, je ne sais où elle se trouve! »
L'enfant garda le silence; mais sa pensée n'était occupée que de sa mère. Il décida de se mettre à sa recherche, dût-il succomber aux fatigues du chemin. Son père eut beau faire, il ne put le détourner de ce projet; Popusnokar se mit en route, traversant plaines et forêts, se nourrissant de fruits sauvages; ses vêtements s'en allèrent par lambeaux. Mais le destin lui était favorable. Un jour, des devi étaient venues se récréer sur une montagne boisée; parmi elles était Dibsodacan qui faisait un bouquet de fleurs forestières.
Popusnokar aperçut ces femmes si belles; il pensa :
« Voici bien des années que j'ai dépassé les régions habitées par les hommes; voici bien des années que je n'ai rencontré aucun être humain. Mes vêtements sont tombés en pièces sans qu'il soit possible de les remplacer. Je ne suis vêtu que de feuilles cueillies aux arbres. Soudain j'aperçois des femmes en groupe nombreux; toutes sont d'une beauté surnaturelle.
D'où pourraient-elles être venues jusqu'ici? Ne sont-elles pas des devi? »
Popusnokar se cacha; lorsque les femmes furent proches, il fit cette incantation:
« Si toutes ces femmes sont des devi et que ma mère ne se trouve pas parmi elles, qu'elles prennent leur vol et retournent dans leur demeure. Mais si l'une d'elles est ma mère, je demande qu'elle soit empêchée de s'envoler avec ses compagnes! »
Popusnokar s'élança dans la clairière où s'ébattaient les devi. Surprises par l'apparition de cet enfant des hommes, elles s'envolèrent en hâte; mais Dibsodacan ne put s'enfuir. Popusnokar se précipita vers elle et la prit dans ses bras, la serrant de toutes ses forces.
Dibsodacan fut saisie d'angoisse.
« Hélas! gémit-elle, quelle malédiction s'appesantit à nouveau sur moi? A peine suis-je délivrée de ma condition humaine, voici qu'un homme me saisit à nouveau!
— Ma mère, ma mère, je suis ton fils! Lorsque ma mère eut disparu, le désespoir s'est emparé de moi, je n'ai fait que pleurer, je te cherchais partout, nulle part je ne t'ai retrouvée. Mon père Lim Seng est entré dans ta chambre; il a trouvé six fleurs sur l'oreiller et a compris que tu étais retournée à ton existence divine. Son chagrin a été profond au delà de toute expression. Tous nos voisins pleuraient avec nous. La pensée de te retrouver n'est jamais un instant sortie de mon cœur. Dès que mes forces ont été suffisantes, j'ai pris congé de mon père et me suis mis à ta recherche. Je pensais mourir d'épuisement. Maintenant j'ai retrouvé ma mère! Je te supplie de revenir avec nous! »
Dibsodacan reconnut que l'adolescent qui la tenait dans ses bras était bien son fils, car ses paroles étaient convaincantes. Elle se mit à pleurer de compassion et lui dit:
« Mon enfant, ta mère n'a point d'aversion pour ton père. Constamment elle a pensé à toi-même et à lui; son souvenir est resté fidèle à tous les hommes au milieu de qui elle a vécu. Mais elle est une devi et ne peut vivre d'une vie humaine. Chaque jour elle doit aller remplir ses fonctions auprès du divin Indra dont elle implore pour toi et ton père les bénédictions. Chaque jour, elle lui demande de répandre le bonheur sur toute la région. Mon enfant, ta mère ne peut pas retourner vivre avec vous. Mais voici que tu m'as cherchée et que tu m'as retrouvée. Ta mère va prendre son enfant et le mener une fois dans sa demeure divine. Tu vas te baigner dans les eaux parfumées du bassin qui se trouve dans le jardin d'Indra et qui te laveront de ton odeur humaine, puis je te conduirai au palais et présenterai mon fils à Indra.»
Dibsodacan donna son écharpe à Popusnokar qui s'en revêtit, rejetant son vêtement de feuillage. Puis, prenant son enfant sur sa hanche, elle l'emporta à travers les airs. Elle le baigna dans l'onde parfumée, le conduisit dans sa demeure où elle lui fit revêtir des vêtements convenables, le rassasia de célestes aliments et se dirigea avec lui vers le palais d'Indra.
Le coeur de Popusnokar débordait de joie. Mais lorsqu'il pénétra dans la salle d'audience, il fut tellement impressionné par la beauté ineffable du lieu et par son mystère qu'il ne put se soutenir; ses jambes fléchirent, il tomba évanoui sur le sol. A ce moment, Indra sortant de son palais vint à passer.
« Quel est cet homme que tu amènes dans mon palais? demanda-t-il à Dibsodacan.
— C'est mon fils, le fils qui m'est né lorsque j'ai vécu sur la terre, mariée à Lim Seng.
— Adolescent, lève-toi! commanda Indra.
Popusnokar reprit ses sens, se prosterna devant le roi des deva. Indra le fit entrer dans son palais et lui posa mille questions sur la région qu'il habitait sur terre. Les réponses de Popusnokar le satisfirent grandement.
« Mon fils, dit en se prosternant Dibsodscan, est particulièrement ingénieux à tracer des figures, à sculpter, à construire des temples ou des forteresses qui font l'admiration des hommes. Toutefois, il n'a jamais eu de maître et ne fait ces choses que selon sa propre inspiration.
— Un homme qui sait sans maître est comparable à un aveugle! répartit Indra. Il progresse tout seul et ne peut prendre conseil. S'il en est ainsi, ton fil, devra se joindre aux devaputra de mes ateliers. Sous leur direction, il apprendra à exécuter les travaux les plus divers et retournera ensuite dans le monde des hommes, car il ne peut, dans sa condition humaine, rester ici à demeure.
Popusnokar se rendit auprès des devaputra spéciaisés dans les arts et les constructions. Il apprit à dessiner, à sculpter, à faire de la musique; il sut construire des navires qui naviguent en terre ferme; il cisela l'or et l'argent, forgea le fer; il connut des solutions qui, répandues sur la glaise, la transforment en pierre. Il retenait tous les enseignements des devaputra. Ceux-ci l'encourageaient d'élogieuses paroles.
« Les travaux que tu sais faire maintenant pourront durer des milliers d'années, alors que les nôtres ne durent qu'un règne; si un roi monte sur le trône et nous confie la construction d'un temple, nous le construisons en un instant; mais le jour où ce roi vient à mourir, le temple disparaît au même moment. Ta puissance est donc supérieure à la nôtre.»
Les devaputra rendirent compte à Indra des résultats remarquables de l'éducation de Popusnokar. Indra s'en réjouit et décida que Popusnokar serait désormais l'éducateur de tous les hommes appartenant à la religion buddhique.
« Tout constructeur humain sera tenu de faire une offrande à Popusnokar, consistant en un plateau sur lequel il placera une bouteille d'alcool, un bat d'argent, quatre morceaux de bananier portant des feuilles de bétel et des noix d'arec, cinq coudées de toile blanche, un bol de riz et une bougie. Si un homme entreprend un travail de quelque importance et ne fait pas cette offrande à Popusnokar, que ses yeux se ferment à la lumière du jour, qu'une taie les couvre.»
Tandis qu'il parlait ainsi, Indra vint à penser à Prah Kèt Mealea. II se transporta à travers les airs au pays du Cambodge. Il faisait nuit sur la terre. Les hommes, éblouis par une lueur éclatante, se demandaient ce qui pouvait ainsi embraser le ciel. Indra descendit dans le temple royal; les gardiens coururent prévenir le roi Devungaschar.
« Un être inconnu est descendu des cieux. Il a l'apparence d'un homme, sa couleur est bleue, il brille comme du feu, il est entré dans le temple royal.»
Devungaschar se dirigea au plus vite vers le temple et reconnut Indra. Il se prosterna devant lui.
« Roi Devungaschar, demanda Indra, connais-tu mon fils?
— Je ne le connais pas!
— Comment est né Prah Kèt Mealea?
— Une lueur bleue a envahi le ciel, puis des guirlandes de fleurs sont tombées sur la reine, qui par la suite se trouva enceinte.
— Enceinte de mon fils, dit Indra.
Devungaschar appela Prah Kèt Mealea. Indra le prit et le fit asseoir sur sa cuisse. Il lui dit:
Jusqu'à dix ans, il s'était appliqué à l'étude. Un jour, Il demanda à son père:
« Qui donc était ma mère?
— Ta mère était une devi. Elle n'était venue vivre sur terre que pendant six années, puis elle est retournée à sa divine demeure. Cette demeure est fort éloignée, je ne sais où elle se trouve! »
L'enfant garda le silence; mais sa pensée n'était occupée que de sa mère. Il décida de se mettre à sa recherche, dût-il succomber aux fatigues du chemin. Son père eut beau faire, il ne put le détourner de ce projet; Popusnokar se mit en route, traversant plaines et forêts, se nourrissant de fruits sauvages; ses vêtements s'en allèrent par lambeaux. Mais le destin lui était favorable. Un jour, des devi étaient venues se récréer sur une montagne boisée; parmi elles était Dibsodacan qui faisait un bouquet de fleurs forestières.
Popusnokar aperçut ces femmes si belles; il pensa :
« Voici bien des années que j'ai dépassé les régions habitées par les hommes; voici bien des années que je n'ai rencontré aucun être humain. Mes vêtements sont tombés en pièces sans qu'il soit possible de les remplacer. Je ne suis vêtu que de feuilles cueillies aux arbres. Soudain j'aperçois des femmes en groupe nombreux; toutes sont d'une beauté surnaturelle.
D'où pourraient-elles être venues jusqu'ici? Ne sont-elles pas des devi? »
Popusnokar se cacha; lorsque les femmes furent proches, il fit cette incantation:
« Si toutes ces femmes sont des devi et que ma mère ne se trouve pas parmi elles, qu'elles prennent leur vol et retournent dans leur demeure. Mais si l'une d'elles est ma mère, je demande qu'elle soit empêchée de s'envoler avec ses compagnes! »
Popusnokar s'élança dans la clairière où s'ébattaient les devi. Surprises par l'apparition de cet enfant des hommes, elles s'envolèrent en hâte; mais Dibsodacan ne put s'enfuir. Popusnokar se précipita vers elle et la prit dans ses bras, la serrant de toutes ses forces.
Dibsodacan fut saisie d'angoisse.
« Hélas! gémit-elle, quelle malédiction s'appesantit à nouveau sur moi? A peine suis-je délivrée de ma condition humaine, voici qu'un homme me saisit à nouveau!
— Ma mère, ma mère, je suis ton fils! Lorsque ma mère eut disparu, le désespoir s'est emparé de moi, je n'ai fait que pleurer, je te cherchais partout, nulle part je ne t'ai retrouvée. Mon père Lim Seng est entré dans ta chambre; il a trouvé six fleurs sur l'oreiller et a compris que tu étais retournée à ton existence divine. Son chagrin a été profond au delà de toute expression. Tous nos voisins pleuraient avec nous. La pensée de te retrouver n'est jamais un instant sortie de mon cœur. Dès que mes forces ont été suffisantes, j'ai pris congé de mon père et me suis mis à ta recherche. Je pensais mourir d'épuisement. Maintenant j'ai retrouvé ma mère! Je te supplie de revenir avec nous! »
Dibsodacan reconnut que l'adolescent qui la tenait dans ses bras était bien son fils, car ses paroles étaient convaincantes. Elle se mit à pleurer de compassion et lui dit:
« Mon enfant, ta mère n'a point d'aversion pour ton père. Constamment elle a pensé à toi-même et à lui; son souvenir est resté fidèle à tous les hommes au milieu de qui elle a vécu. Mais elle est une devi et ne peut vivre d'une vie humaine. Chaque jour elle doit aller remplir ses fonctions auprès du divin Indra dont elle implore pour toi et ton père les bénédictions. Chaque jour, elle lui demande de répandre le bonheur sur toute la région. Mon enfant, ta mère ne peut pas retourner vivre avec vous. Mais voici que tu m'as cherchée et que tu m'as retrouvée. Ta mère va prendre son enfant et le mener une fois dans sa demeure divine. Tu vas te baigner dans les eaux parfumées du bassin qui se trouve dans le jardin d'Indra et qui te laveront de ton odeur humaine, puis je te conduirai au palais et présenterai mon fils à Indra.»
Dibsodacan donna son écharpe à Popusnokar qui s'en revêtit, rejetant son vêtement de feuillage. Puis, prenant son enfant sur sa hanche, elle l'emporta à travers les airs. Elle le baigna dans l'onde parfumée, le conduisit dans sa demeure où elle lui fit revêtir des vêtements convenables, le rassasia de célestes aliments et se dirigea avec lui vers le palais d'Indra.
Le coeur de Popusnokar débordait de joie. Mais lorsqu'il pénétra dans la salle d'audience, il fut tellement impressionné par la beauté ineffable du lieu et par son mystère qu'il ne put se soutenir; ses jambes fléchirent, il tomba évanoui sur le sol. A ce moment, Indra sortant de son palais vint à passer.
« Quel est cet homme que tu amènes dans mon palais? demanda-t-il à Dibsodacan.
— C'est mon fils, le fils qui m'est né lorsque j'ai vécu sur la terre, mariée à Lim Seng.
— Adolescent, lève-toi! commanda Indra.
Popusnokar reprit ses sens, se prosterna devant le roi des deva. Indra le fit entrer dans son palais et lui posa mille questions sur la région qu'il habitait sur terre. Les réponses de Popusnokar le satisfirent grandement.
« Mon fils, dit en se prosternant Dibsodscan, est particulièrement ingénieux à tracer des figures, à sculpter, à construire des temples ou des forteresses qui font l'admiration des hommes. Toutefois, il n'a jamais eu de maître et ne fait ces choses que selon sa propre inspiration.
— Un homme qui sait sans maître est comparable à un aveugle! répartit Indra. Il progresse tout seul et ne peut prendre conseil. S'il en est ainsi, ton fil, devra se joindre aux devaputra de mes ateliers. Sous leur direction, il apprendra à exécuter les travaux les plus divers et retournera ensuite dans le monde des hommes, car il ne peut, dans sa condition humaine, rester ici à demeure.
Popusnokar se rendit auprès des devaputra spéciaisés dans les arts et les constructions. Il apprit à dessiner, à sculpter, à faire de la musique; il sut construire des navires qui naviguent en terre ferme; il cisela l'or et l'argent, forgea le fer; il connut des solutions qui, répandues sur la glaise, la transforment en pierre. Il retenait tous les enseignements des devaputra. Ceux-ci l'encourageaient d'élogieuses paroles.
« Les travaux que tu sais faire maintenant pourront durer des milliers d'années, alors que les nôtres ne durent qu'un règne; si un roi monte sur le trône et nous confie la construction d'un temple, nous le construisons en un instant; mais le jour où ce roi vient à mourir, le temple disparaît au même moment. Ta puissance est donc supérieure à la nôtre.»
Les devaputra rendirent compte à Indra des résultats remarquables de l'éducation de Popusnokar. Indra s'en réjouit et décida que Popusnokar serait désormais l'éducateur de tous les hommes appartenant à la religion buddhique.
« Tout constructeur humain sera tenu de faire une offrande à Popusnokar, consistant en un plateau sur lequel il placera une bouteille d'alcool, un bat d'argent, quatre morceaux de bananier portant des feuilles de bétel et des noix d'arec, cinq coudées de toile blanche, un bol de riz et une bougie. Si un homme entreprend un travail de quelque importance et ne fait pas cette offrande à Popusnokar, que ses yeux se ferment à la lumière du jour, qu'une taie les couvre.»
Tandis qu'il parlait ainsi, Indra vint à penser à Prah Kèt Mealea. II se transporta à travers les airs au pays du Cambodge. Il faisait nuit sur la terre. Les hommes, éblouis par une lueur éclatante, se demandaient ce qui pouvait ainsi embraser le ciel. Indra descendit dans le temple royal; les gardiens coururent prévenir le roi Devungaschar.
« Un être inconnu est descendu des cieux. Il a l'apparence d'un homme, sa couleur est bleue, il brille comme du feu, il est entré dans le temple royal.»
Devungaschar se dirigea au plus vite vers le temple et reconnut Indra. Il se prosterna devant lui.
« Roi Devungaschar, demanda Indra, connais-tu mon fils?
— Je ne le connais pas!
— Comment est né Prah Kèt Mealea?
— Une lueur bleue a envahi le ciel, puis des guirlandes de fleurs sont tombées sur la reine, qui par la suite se trouva enceinte.
— Enceinte de mon fils, dit Indra.
Devungaschar appela Prah Kèt Mealea. Indra le prit et le fit asseoir sur sa cuisse. Il lui dit:
« Autrefois, je m'appelais Makhmanubbh; j'ai construit des routes et des digues, des sala et des ponts; j'ai distribué mes richesses aux pauvres; en récompense, je suis devenu Indra. J'ai pris en pitié le royaume cambodgien; parce qu'il est de fondation récente, aucun homme puissant n'y est né jusqu'ici. C'est pourquoi je t'ai engendré, pour te donner longue et heureuse vie. Mais les hommes en ce temps, vivent peu d'années; rares sont ceux qui atteignent l'âge de cent ans. Je vais t'emporter dans mon palais et te baigner dans un bassin qui te fera vivre une longue existence.
Indra prit sur sa hanche Prah Kèt Mellea, l'emporta dans son royaume divin. Dans les jardins, il y avait un bassin. Pendant sept jours, Indra y plongea Prah Két Meala sept fois par jour; ensuite, il le fit entrer dans son palais. Il invita sept Brahma à venir réciter des incantations et à faire des aspersions sur Prah Kèt Mealea pour lui donner une vie de quatre cents ans.
Ces cérémonies accomplies, Indra fit atteler son char divin ; il confia Prah Kèt Mealea à ses cochers qui le conduisirent en volant autour du palais pour lui en montrer les beautés. Lorsqu'il eut tout contemplé autant qu'il le désirait, Prah Kèt Mealea se fit ramener aux célestes écuries.
Indra lui demanda:
« Es-tu content de ce que tu as vu?
— Je suis émerveillé!
— Je te donne le royaume du Cambodge. Si tu as vu ici un monument que tu désires reproduire, dis-le selon ton cœur. Je t'enverrai un architecte qui le construira dans ton royaume.»
Prah Kèt Mealea n'avait que douze ans; il était très intimidé devant Indra. Il réfléchit:
« Dans mon royaume, je ne puis rien faire qui soit aussi beau que le palais d'Indra: si je voulais m'égaler à lui, il serait mécontent.»
Il dit alors:
« Je voudrais faire construire un édifice aussi beau que votre étable à bœufs! »
Indra se mit à rire.
« Cette étable est belle à tes yeux? »
Il appela Popusnokar et lui dit:
« Tu es de race humaine, tu ne peux rester dans ces lieux. Je vais t'envoyer dans le Cambodge, où tu construiras le palais de mon fils; tu le feras aussi beau que mon étable à bœufs. Lorsque tu l'auras construit, je descendrai sur la terre pour présider au couronnement de mon fils et le comblerai de gloire.»
Lorsque Popusnokar eut bien examiné l'étable, Indra fit atteler un de ses chars sur lequel il fit monter Prah Kèt Mealea et Popusnokar, et les fit conduire sur la terre cambodgienne.
Popusnokar se mit aussitôt en devoir de commencer la construction de l'édifice royal; c'était en l'an 620 de l'ère buddhique. Il fit creuser des fossés, accumuler la terre qui en provenait et mouler sur toute la surface des sculptures de toutes sortes.
Le fils d'un chef de village, appelé Sovan, travaillait sous les ordres de Popusnokar. Lorsque Sovan fut en état de diriger les travaux, Popusnokar s'embarqua sur une jonque pour aller à la mer chercher des coquillages dont il ferait la chaux pour enduire le monument. Lorsque au retour il atteignit Somronsèn, dans la province de Kompong Leng, la jonque coula.
Popusnokar fit renflouer le bateau mais abandonna les coquillages dont il était chargé. C'est pour cela que maintenant encore on trouve une si grande accumulation de coquilles enterrées dans le sol à Somronsèn; depuis d'innombrables années les habitants de cette région emploient ces coquilles pour faire de la chaux et n'ont pas épuisé la quantité qui est encore considérable de nos jours.
Popusnokar repartit pour la mer avec de nombreuses jonques, rapporta un grand chargement de coquilles et en fit une quantité considérable de chaux. Puis il arma trois jonques pour aller chercher des graines de sésame. Une tempête fit chavirer une des jonques à Komnhanthom, à l'est de Dontri. Popusnokar fit jeter la cargaison du bateau et pétrifia les graines de sésame abandonnées dont le tas forma une île. C'est pour cela que, de nos jours encore, la terre de l'ile Komnhan est noire comme la graine de sésame sans qu'aucune autre terre s'y soit mélangée.
Des graines qui chargeaient les deux jonques restantes, Popusnokar fit une préparation dont Il enduisit le monument de terre qu'il avait fait construire. La terre se transforma aussitôt en pierre.
Popusnokar ne construisait pas, comme nous le faisons, en établissant des échafaudages et en dressant les colonnes une à une. Il construisit tout ensemble un monument à cinq tours entièrement en terre et l'enduisit, en entier de la solution qui le transforma en pierre. C'est pourquoi dans les voûtes mêmes des toitures on ne voit ni poutres ni chevrons. Lorsque la construction fut achevée, il peignit les sculptures de couleurs appropriées; le monument était admirable et en tout semblable aux étables d'Indra.
Prah Kèt Mealea, dans l'admiration, félicita Popusnokar et l'employa à construire un grand nombre de monuments tous ornés de sculptures merveilleuses.
Indra, escorté de deva innombrables, vint sur terre, versa sur son fils l'eau du couronnement. Il lui donna le nom de Arothpulpearso Prah Kèt Mealea, et il appela le Cambodge de son nom actuel. Les fêtes du couronnement terminées, Indra retourna dans son divin séjour avec les deva qui l'accompagnaient.
Par la suite Prah Kèt Mealea remarqua qu'une des tours d'Angkor n'était pas d'aplomb. Il enjoignit à Popusnokar de la redresser. Celui-ci répondit:
« Que Votre Majesté envoie une femme frapper la tour avec une citrouille mûre et elle se redressera! »
Prah Kèt Mealea, fort en colère, s'écria:
« Comment peux-tu parler de redresser avec une citrouille cette tour qui est en pierre? »
Popusnokar se fâcha à son tour et répondit:
« Si Votre Majesté ne me croit pas, que la tour reste inclinée! Et à l'avenir, que toutes Ies tours du genre de celle d'Angkor soient inclinées comme celle ci.»
A quelque temps de là, Prah Kèt Mealea livra à Popusnokar trois pieuls de fer et lui ordonna de lui forger une épée, insigne de sa puissance.
Popusnokar fondit le fer et n'en prit que la partie la plus dure; des trois pieuls de fer il ne retira que la quantité nécessaire pour faire une petite épée dont la lame était aussi mince qu'une feuille de riz, mais le tranchant en était tel que si, avec cette épée, on fendait un homme en deux, il ne s'apercevait pas qu'il était fendu; il avait l'impression que le coup l'avait manqué; il pouvait parler comme avant. Mais si on le poussait et il tombait en deux morceaux. Si on remplissait d'eau une jarre de terre, on pouvait couper la jarre en deux sans qu'une goutte d'eau se répande; ce n'est que lorsqu'on touchait la jarre qu'elle se partageait en deux et que l'eau s'écoulait.
Popusnokar trempa cette épée avec le plus grand soin et vint la présenter à Prah Kèt Mealea. Le roi entra dans une violente colère et fit d'amers reproches à Popusnokar devant tous les dignitaires:
« Tu as volé pour ton propre usage le fer que je t'ai confié! C'est pour cela que cette épée est si petite! »
Popusnokar, furieux, répondit:
« Je ne reste pas au Cambodge, je vais retourner en Chine! »
Il s'éloigna traînant derrière lui l'épée dont il avait tourné le tranchant vers le plancher. Lorsqu'il fut sorti, on s'aperçut que les planches sur lesquelles avait passé I'épée étaient toutes sectionnées. Prah Kèt Mealea envoya aussitôt appeler Popusnokar et lui fit demander l'épée. Popusnokar refusa et la jeta dans le Grand Lac. Ensuite, il s'embarqua sur une jonque et mit la voile. Il alla se fixer en Chine, son pays natal, et instruisit les hommes.
Ces cérémonies accomplies, Indra fit atteler son char divin ; il confia Prah Kèt Mealea à ses cochers qui le conduisirent en volant autour du palais pour lui en montrer les beautés. Lorsqu'il eut tout contemplé autant qu'il le désirait, Prah Kèt Mealea se fit ramener aux célestes écuries.
Indra lui demanda:
« Es-tu content de ce que tu as vu?
— Je suis émerveillé!
— Je te donne le royaume du Cambodge. Si tu as vu ici un monument que tu désires reproduire, dis-le selon ton cœur. Je t'enverrai un architecte qui le construira dans ton royaume.»
Prah Kèt Mealea n'avait que douze ans; il était très intimidé devant Indra. Il réfléchit:
« Dans mon royaume, je ne puis rien faire qui soit aussi beau que le palais d'Indra: si je voulais m'égaler à lui, il serait mécontent.»
Il dit alors:
« Je voudrais faire construire un édifice aussi beau que votre étable à bœufs! »
Indra se mit à rire.
« Cette étable est belle à tes yeux? »
Il appela Popusnokar et lui dit:
« Tu es de race humaine, tu ne peux rester dans ces lieux. Je vais t'envoyer dans le Cambodge, où tu construiras le palais de mon fils; tu le feras aussi beau que mon étable à bœufs. Lorsque tu l'auras construit, je descendrai sur la terre pour présider au couronnement de mon fils et le comblerai de gloire.»
Lorsque Popusnokar eut bien examiné l'étable, Indra fit atteler un de ses chars sur lequel il fit monter Prah Kèt Mealea et Popusnokar, et les fit conduire sur la terre cambodgienne.
Popusnokar se mit aussitôt en devoir de commencer la construction de l'édifice royal; c'était en l'an 620 de l'ère buddhique. Il fit creuser des fossés, accumuler la terre qui en provenait et mouler sur toute la surface des sculptures de toutes sortes.
Le fils d'un chef de village, appelé Sovan, travaillait sous les ordres de Popusnokar. Lorsque Sovan fut en état de diriger les travaux, Popusnokar s'embarqua sur une jonque pour aller à la mer chercher des coquillages dont il ferait la chaux pour enduire le monument. Lorsque au retour il atteignit Somronsèn, dans la province de Kompong Leng, la jonque coula.
Popusnokar fit renflouer le bateau mais abandonna les coquillages dont il était chargé. C'est pour cela que maintenant encore on trouve une si grande accumulation de coquilles enterrées dans le sol à Somronsèn; depuis d'innombrables années les habitants de cette région emploient ces coquilles pour faire de la chaux et n'ont pas épuisé la quantité qui est encore considérable de nos jours.
Popusnokar repartit pour la mer avec de nombreuses jonques, rapporta un grand chargement de coquilles et en fit une quantité considérable de chaux. Puis il arma trois jonques pour aller chercher des graines de sésame. Une tempête fit chavirer une des jonques à Komnhanthom, à l'est de Dontri. Popusnokar fit jeter la cargaison du bateau et pétrifia les graines de sésame abandonnées dont le tas forma une île. C'est pour cela que, de nos jours encore, la terre de l'ile Komnhan est noire comme la graine de sésame sans qu'aucune autre terre s'y soit mélangée.
Des graines qui chargeaient les deux jonques restantes, Popusnokar fit une préparation dont Il enduisit le monument de terre qu'il avait fait construire. La terre se transforma aussitôt en pierre.
Popusnokar ne construisait pas, comme nous le faisons, en établissant des échafaudages et en dressant les colonnes une à une. Il construisit tout ensemble un monument à cinq tours entièrement en terre et l'enduisit, en entier de la solution qui le transforma en pierre. C'est pourquoi dans les voûtes mêmes des toitures on ne voit ni poutres ni chevrons. Lorsque la construction fut achevée, il peignit les sculptures de couleurs appropriées; le monument était admirable et en tout semblable aux étables d'Indra.
Prah Kèt Mealea, dans l'admiration, félicita Popusnokar et l'employa à construire un grand nombre de monuments tous ornés de sculptures merveilleuses.
Indra, escorté de deva innombrables, vint sur terre, versa sur son fils l'eau du couronnement. Il lui donna le nom de Arothpulpearso Prah Kèt Mealea, et il appela le Cambodge de son nom actuel. Les fêtes du couronnement terminées, Indra retourna dans son divin séjour avec les deva qui l'accompagnaient.
Par la suite Prah Kèt Mealea remarqua qu'une des tours d'Angkor n'était pas d'aplomb. Il enjoignit à Popusnokar de la redresser. Celui-ci répondit:
« Que Votre Majesté envoie une femme frapper la tour avec une citrouille mûre et elle se redressera! »
Prah Kèt Mealea, fort en colère, s'écria:
« Comment peux-tu parler de redresser avec une citrouille cette tour qui est en pierre? »
Popusnokar se fâcha à son tour et répondit:
« Si Votre Majesté ne me croit pas, que la tour reste inclinée! Et à l'avenir, que toutes Ies tours du genre de celle d'Angkor soient inclinées comme celle ci.»
A quelque temps de là, Prah Kèt Mealea livra à Popusnokar trois pieuls de fer et lui ordonna de lui forger une épée, insigne de sa puissance.
Popusnokar fondit le fer et n'en prit que la partie la plus dure; des trois pieuls de fer il ne retira que la quantité nécessaire pour faire une petite épée dont la lame était aussi mince qu'une feuille de riz, mais le tranchant en était tel que si, avec cette épée, on fendait un homme en deux, il ne s'apercevait pas qu'il était fendu; il avait l'impression que le coup l'avait manqué; il pouvait parler comme avant. Mais si on le poussait et il tombait en deux morceaux. Si on remplissait d'eau une jarre de terre, on pouvait couper la jarre en deux sans qu'une goutte d'eau se répande; ce n'est que lorsqu'on touchait la jarre qu'elle se partageait en deux et que l'eau s'écoulait.
Popusnokar trempa cette épée avec le plus grand soin et vint la présenter à Prah Kèt Mealea. Le roi entra dans une violente colère et fit d'amers reproches à Popusnokar devant tous les dignitaires:
« Tu as volé pour ton propre usage le fer que je t'ai confié! C'est pour cela que cette épée est si petite! »
Popusnokar, furieux, répondit:
« Je ne reste pas au Cambodge, je vais retourner en Chine! »
Il s'éloigna traînant derrière lui l'épée dont il avait tourné le tranchant vers le plancher. Lorsqu'il fut sorti, on s'aperçut que les planches sur lesquelles avait passé I'épée étaient toutes sectionnées. Prah Kèt Mealea envoya aussitôt appeler Popusnokar et lui fit demander l'épée. Popusnokar refusa et la jeta dans le Grand Lac. Ensuite, il s'embarqua sur une jonque et mit la voile. Il alla se fixer en Chine, son pays natal, et instruisit les hommes.
Telle est l'histoire de Popusnokar; peu d'hommes la connaissent et, parce qu'ils l'ignorent, ils parlent à tort et à travers, prétendant que ce sont les deva qui ont construit Angkor.
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